S'il y a bien un continent où l'ascension fulgurante de Jean Sarkozy n'étonne pas outre mesure, c'est l'Afrique. Ces derniers mois, sur le continent noir, les exemples de «fils à papa» qui font des carrières superbes ne manquent pas.
Ali Bongo ne vient-il pas de succéder à son père, Omar Bongo au Gabon ? Considéré comme très impopulaire, il a pourtant été élu dès le premier tour de la présidentielle du 30 août dernier. Au Sénégal, le Président Abdoulaye Wade rêve de voir son fils lui succéder. Lors du scrutin de 2012, il n'a pas exclu de se retrouver au second tour face à son fils, Karim. «Ce serait amusant» a-t-il déclaré aux Sénégalais médusés. En République démocratique du Congo, Joseph Kabila a succédé à son père. En Libye, le colonel Kadhafi verrait bien un de ses fils en faire de même: Saïf el Islam est tout à la fois son dauphin et l'un des hommes les plus critiques du régime. Chez les Kadhafi on fait tout en famille, on règne et on incarne en même temps l'opposition interne. Ce qui laisse peu de place aux autres. En Egypte aussi, la succession dynastique est des plus probables.
Dans la lignée des présidents français
L'Afrique hésite à s'indigner plus qu'à l'accoutumée. Que le fils du président français se retrouve à la tête de l'établissement qui gère le quartier d'affaires le plus important d'Europe, est-ce bien différent de ce qu'a fait en son temps François Mitterrand? N'avait-il pas confié les affaires africaines à son fils, Jean-Christophe? Pour les Africains, la nomination de Jean- Christophe Mitterrand à ce poste-clé avait bien plus d'impact que celle que guigne actuellement Jean Sarkozy. Fins connaisseurs de la vie politique française, bien des Africains considèrent qu'en agissant ainsi, Sarkozy rend d'une certaine façon hommage à François Mitterrand. N'a-t-il pas toujours eu un faible pour les manières mitterrandiennes? Ne vient-il pas de nommer un de ses neveux à la tête du ministère de la culture? Mais il est vrai que tous les observateurs soulignent une différence de taille: Jean-Christophe Mitterrand était un spécialiste de l'Afrique. Journaliste, il avait passé plusieurs années sur le continent avant d'entrer en fonction alors que le c.v. de Jean Sarkozy paraît plutôt mince.
«On a beau croire qu'aux âmes bien nées la valeur n'attend point le nombre des années, tout de même, il existe quelque part quelque chose qui vous suggère qu'à une autre âme bien née, mais descendant d'une souche différente de celle de Sarkozy, on demanderait peut-être de faire preuve d'un peu moins d'empressement» estime le quotidien burkinabé, Le Pays. Pour sa part, Le Bénin Aujourd'hui s'inquiète de l'influence du modèle français: «Alors qu'en Afrique, il se trouve des démocrates pour se battre contre de tels comportements dans la gestion des partis politiques et des affaires, le président Sarkozy donne un mauvais exemple. Tous les chefs d'Etats africains qui hésitaient encore à caser leurs enfants à des postes-clés vont trouver désormais une inspiration à travers l'affaire Jean Sarkozy».
Selon Le Journal du Jeudi, la cause est entendue «Quand on a étudié le droit de père en fils ce n'est pas pour laisser la défense échapper à la famille, ironise l'hebdomadaire satirique burkinabé. Et si les aigris crient au népotisme, c'est tant pis pour eux. Car après Sarkozy, il y aura Sarkozy. A l'Elysée et à l'EPAD». Un point de vue largement partagé par les médias africains qui voient bien Jean Sarkozy succéder un jour à son père à l'Elysée.
La corruption n'a pas ses racines en Afrique
Vue d'Afrique, la France n'a jamais été un modèle de vertu. Sauf, peut-être, à la lointaine époque du général de Gaulle. Et encore, Jacques Foccart, le monsieur Afrique du général n'était-il pas aux affaires? Corruption et népotisme, loin d'être perçues comme des maladies purement africaines, ces maux sont souvent considérés comme ayant aussi leurs racines en France. En Afrique francophone, le modèle centralisé jacobin est fréquemment considéré comme un facteur aggravant de ces «maladies». «C'est vous qui nous avez contaminés» se plaisent à dire bien des Africains, notamment des Camerounais. Même si dans la réalité les ex-colonies anglophones ne sont pas forcément moins corrompues. Dans les classements annuels de l'ONG Transparency international, le Cameroun et le Nigeria (ex-colonie britannique) se disputent fréquemment les premières places.
La récente affaire des fraudes électorales lors de l'élection de la première secrétaire du parti socialiste n'a en rien amélioré l'image de l'hexagone. «Ces graves accusations montrent bien que la France et ses hommes politiques, grands donneurs de leçons devant l'éternel aux pays africains, ne sont pas exempts de tout reproche. Si ce ne sont pas les hommes politiques français qui ont importé leurs pratiques en Afrique, alors ce sont les hommes politiques africains qui ont fait l'inverse en France» explique La Montagne. Cet hebdomadaire béninois ajoute que le modèle français inquiète d'autant plus que, depuis peu, s'y pratique ce qu'en Afrique francophone on appelle «la transhumance». A savoir des hommes politiques qui changent de camp afin d'entrer au gouvernement.
Le modèle politique français fait-il encore rêver les ex-colonies? «Je n'ose pas imaginer jusqu'où aurait été Nicolas Sarkozy s'il dirigeait un pays africain», ironise l'écrivain Serge Félix N'Piénikoua. Il ajoute «Mais au fond, la France est peut-être déjà un pays africain. Un pays africain comme un autre».
Pierre Malet
Image de une: Reuters, Nicolas Sarkozy et Sassou Nguesso au palais présidentiel à Brazzaville, 26/03/2009
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