Les Colombiens utilisent l'ouest du continent comme zone de transit vers l'Europe.
Maurin Picard à Vienne
Le Figaro 20/11/2009 | Mise à jour : 21:28 |
La déflagration a secoué toute la région de Bourem, aux confins du Tilemsi, le désert du nord-est malien. Dans la journée du 5 novembre, un avion de ligne de type Boeing explosait en bordure d'une piste d'aviation rudimentaire à Almoustras, à 180 km au nord de la ville de Gao. Saisie de l'enquête, la gendarmerie malienne a conclu que l'avion avait manqué son décollage et avait été abandonné sur place, ses mystérieux occupants prenant soin de l'incendier pour ne pas laisser de traces.
Depuis, dans le Tilemsi, les langues se délient, répercutées dans la presse locale. Cela ferait plus de deux ans que la région, à mille lieues de toute agglomération, sert de terrain de délestage pour les narcotrafiquants colombiens, qui ont choisi l'Afrique de l'Ouest comme zone de transit pour la drogue à destination des marchés européens. Que contenait le Boeing d'Almoustras ? « On estime que sa cargaison était constituée de cocaïne et d'autres substances illicites », indique Alexandre Schmidt, le chef du bureau régional de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) à Dakar. Seule certitude, le Boeing, un vieux coucou sans aucun plan de vol répertorié, provenait d'Amérique du Sud. Il se serait ravitaillé en kérosène au Venezuela, sans que l'on sache s'il était parti de ce pays ou d'un autre État de la région.
La nouvelle de l'incident s'est propagée comme une onde de choc à travers la région, où jamais les trafiquants de drogue n'avaient été surpris à utiliser des gros-porteurs. Jusqu'à présent, les cartels de Colombie utilisaient soit de petits jets privés, soit des hors-bord déchargeant les cales de cargos croisant au large de la Guinée-Bissau, havre des narcotrafiquants sud-américains.
Pour l'ONUDC, l'affaire du Boeing n'a rien de rassurant. «Elle confirme nos craintes : le trafic se développe plus au sud, plus à l'intérieur des terres, souligne Walter Kemp, porte-parole au siège de l'organisation à Vienne, en Autriche. Il ne se contente plus de proliférer le long de la façade côtière. » Surveillés de près par les marines des puissances occidentales, dont les navires croisent au large des côtes africaines, les trafiquants cherchent de nouveaux points de chute, comme le désert du nord-est malien, infesté de bandes armées en rébellion face à Bamako et dont certaines se revendiquent de la mouvance islamiste d'al-Qaida au Maghreb islamique. «Les routes de la drogue sont en train de changer, constate Walter Kemp. On a la sensation bien palpable que les opérations des narcotrafiquants deviennent de plus en plus importantes, de plus en plus sophistiquées », comme en témoigne le Boeing fantôme de Gao, dont le chargement en stupéfiants divers et variés s'élevait probablement à plusieurs tonnes.
Des capacités de production locales
Ce n'est pas le seul développement inquiétant. De nouvelles organisations criminelles sont apparues, qui se mêlent de trafic de drogue, mais également de la contrebande de cigarettes, de pétrole et de médicaments, comme l'évoquait un rapport édifiant de l'ONUDC en juillet. Ces nouveaux acteurs proviennent du Nigeria et ils s'approvisionnent au Brésil, empiétant sur le terrain de chasse des Colombiens en Afrique de l'Ouest. Un affrontement entre ces groupes paraît inévitable. Et il sera sanglant, forcément.
Comme si tout cela ne suffisait pas, une autre découverte récente est venue bouleverser les certitudes des experts de la lutte antidrogue, à l'ONU comme à Interpol. Fin juillet, à Conakry, en Guinée, la police est tombée sur des laboratoires recélant des précurseurs chimiques, du type de ceux qui servent à élaborer la cocaïne et l'ecstasy. «Cela prouve l'existence de capacités de production de stupéfiants à Conakry », souligne Alexandre Schmidt. Désormais, les trafiquants acheminent de la coca non raffinée en Afrique de l'Ouest, ce qui leur offre un risque moindre : en cas de saisie, ils perdent beaucoup moins d'argent. »
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